Vivement le printemps
Week-end à bon port avec l'homme que j'aime, le seul, loin des sirènes italiennes. Des beaux films, les chats maussades, hargneux, déconfits car confinés. C'est pour leur bien, mais allez expliquer ça à un chat, un truc qui se balade dans l'univers avec trois neurones et un QI de 20. "Pas de panique, surtout pas de panique", disent-il, et diligentent des armadas de soldats en tuniques et masques blancs, silhouettes tchernobylesque qui arpentent les rives du fleuve et ramassent avec des pinces énormes les cadavres mouillés des poules d'eau, des mouettes et des moineaux morts de froid, de faim ou peut-être d'autre chose. On nous dit tout mais on sait peu, et j'aime trop mes chats. Balade dans les docks enneigés, car il neige, encore et toujours, il neige, il n'en peut plus de neiger, depuis des semaines. Au début, c'est tout blanc, c'est joli, tout est plus clair, et puis, peu à peu, on s'en lasse, on finit par l'exécrer, la cendre d'eau trop drue qui glace-trempe tout, le bonnet, les chaussures, le manteau, qui transperce jusqu'aux os. Hier c'était dimanche, et comme on se parlait le dimanche, Pavlov's son, j'ai appelé la clinique. Elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas parler. La matière blanche, me dit-on. Ah bon, la matière blanche, séquelle probable de l'inexpliquée, l'immaculée, l'inélucidée épilepsie. On la lève deux fois par jour, consigne de l'hôpital, on lui fait faire quelques pas puis on la pose dans le fauteuil, près de la fenêtre sécurisée, on la nourrit à la cuiller et on lui fait avaler ses pilules. On me dit qu'elle ne parle guère, que quand elle dit, ce qu'elle dit n'a pas de sens. Emmurée, désormais, dans cette prison qu'elle redoutait tant quand on en parlait, il y a quelques années. Parfois le pire arrive. Je n'irai pas, donc. Pas encore. On s'envolera pour la Grèce, dans quelques semaines, Salonique, peut-être, le ferry, une, deux escales, et puis on fêtera Pâques sur notre île. Pas à Athènes, pas dans son village, on n'y est plus les bienvenus, c'est clair et c'est irrémédiable. Je vais sans doute recommencer à bosser pour le cinéma.Ca me manque. Au printemps, peut-être. Il serait d'ailleurs plus que temps qu'il rapplique enfin, le printemps, faut pas exagérer, merde, même pas un signe, rien. Vivement le printemps.